ÉTRANGE ANNIVERSAIRE L'ÉTRANGE #8 - DOUBLE FEATURE

Pour la deuxième année consécutive, D'un Écran à l'Autre est heureux de couvrir L'Étrange Festival situé au Forum des Images, du 4 au 15 septembre prochain. Pour son 25ème anniversaire, le festival offre l'une de ses programmations les plus ambitieuses, entre ses pas moins de vingt-cinq cartes blanches laissées à des artistes audiovisuels, ou encore une compétition internationale garnie de nombreuses premières françaises. Programme exceptionnel aujourd'hui, avec deux jours pour le prix d'un, offre soumise à aucune condition, si ce n'est le plaisir de vous retranscrire pas moins de six séances aux résultats aléatoires, mais à l'expérience mémorable. Vous trouvez ça étrange ? Non ? Attendez un peu...




***MERCREDI 11 SEPTEMBRE***

PIQUE NIQUE A HANGING-ROCK, Peter Weir, 1975 : Second film de Peter Weir, Pique-nique à Hanging Rock était le choix de Mati Diop pour sa séance spéciale. L'occasion de découvrir un film plébiscité par nombre de spectateurs depuis sa sortie en 1975. Et pour cause: le caractère fantastique du film, jamais précisé, est un prétexte au développement d'un sous-texte politique encore actuel. Une romance homosexuelle, la vacuité de la société, la pluralité d'origines de jeunes filles toutes blanches, donne un sensation de conte ésotérique qui va dépasser son statut par l'approche extrêmement réaliste et froide de l'école dans laquelle elles séjournent. Le décalage provient surtout du paysage: l'environnement hostile face à l'époque néo-victorienne en transition vers la civilisation moderne renforce une différence déjà notable, et traduisant le fossé progressif entre nature et culture. Un gros morceau de cinéma, qu'il conviendrait de revoir pour y déceler toute sa subtilité. -TB





NI DIEUX NI MAÎTRES, Eric Cherrière, 2019 : L'ambition notable délivre-t-elle forcément un bon film Si la réponse tend encore et toujours vers le négatif, le film Ni Dieux ni Maîtres de Eric Cherrière n'infirme malheureusement pas à la règle. L'envie de réaliser un film d'aventures historique est visible, et l'introduction du long-métrage donne le ton: il sera un film d'action, ou il ne sera pas. Mais la structure narrative usée jusqu'à la moelle, associée à de malencontreux choix de cadre, peinent à masquer un manque criard de budget. Peu d'acteurs lors des scènes de combat, un décor vide lors de plans larges, des thématiques sous-traitées et un terrible manque de liant entre les séquences donnent un côté pauvre à une production qui aurait mérité de plus appuyer la fragilité du royaume par l'image, et non s'enfermer dans une théâtralité feignant les combats qui tend dangereusement vers le ridicule par moments. Le film, dont les chorégraphies font immédiatement penser au Pacte des loups de Christophe Gans, peine à tenir sur la durée malgré ces toutes petites 78 minutes. Une volonté d'être tranchant, qui finit par être un petit coup d'épée dans l'eau... -TB

Aucune date de sortie française n'est encore prévue pour ce film.





THE DOLL'S BREATH / INSTITUT BENJAMENTA, Stephen Quay & Timothy Quay, 2019 / 1995 : C'est une occasion assez unique qui s'est présentée en ce jour d'Etrange Festival puisque non content d'inviter les frères Quay afin de rendre un vibrant hommage à l'ensemble de leur carrière avec la rediffusion de leur premier long-métrage Institut Benjamenta, le festival nous offrit également en avant-séance la première mondiale de leur tout nouveau court-métrage, The Doll's Breath, produit par Christopher Nolan.

Émettre un avis sur des œuvres aussi singulières que celles des frères Quay, d'autant plus au cours d'un festival, se révèle être bien plus difficile que prévu tant leur travail nécessite un investissement quasi total. En témoigne l’exigence demandée par Institut Benjamenta, oeuvre totalement à part avec un jeune Mark Rylance mais qui, par sa durée et sa narration déconstruite, ressemble plus à un labyrinthe dont on ne verrait jamais le bout plutôt qu'à une simple proposition expérimentale. Même chose pour The Doll's Breath, dont les qualités esthétiques (le film étant entièrement en stop-motion) forcent le respect mais dont l'histoire volontairement floue au possible bloque en quelque sorte notre appréciation totale de l'ensemble. 

L'idée de rendre hommage à l'oeuvre des frères Quay faisait sens dans le cadre de l'Étrange Festival, tant ils sont parfaitement dans leur univers, mais nous concernant, l'expérience aura été plus frustrante que fascinante, notamment par le sentiment d'être passés à côté de quelque chose non pas à cause du film en lui-même mais plutôt dans les conditions de notre découverte. Mais comme on dit, ce n'est que partie remise. -TR

Une ressortie de Institut Benjamenta est prévue en France pour la fin de l'année 2019. Aucune date de sortie française n'est encore prévue pour The Doll's Breath.





LES SOURCES OCCULTES, Laurent Courau, 2019 : Librement influencé par la Demeure du Chaos, lieu phare de la contre-culture lyonnaise, et tourné sans budget ni autorisation sur une période de pratiquement 10 ans, Les Sources Occultes semblait présager une exploration glauque et malsaine d'un monde en proie à l'auto-destruction et aux folies de toutes sortes. Mais dès son commencement, on se rend vite compte que l'on est surtout devant un exercice pompeux et faussement subversif plutôt qu'un vrai film dérangeant. Après une succession de trois citations aléatoires en mode "name-dropping d'influences", Laurent Courau nous fait savoir avec subtilité qu'il "emmerde l'industrie du divertissement" (sic) avec un carton censé nous montrer toute la maturité de ce que nous allons voir pendant 1h10.

Le reste restera dans cette lignée puisque vont se succéder plein de petites saynètes tantôt ésotériques, tantôt glauques sans réel fil conducteur ni même logique globale apportée à l'ensemble. Si Laurent Courau veut réduire à néant le cinéma traditionnel, il le fait ici de la pire des manières, en proposant un film, ou plutôt une "expérience", très vite insupportable et dont on ne perçoit aucunement le sens. On retiendra toutefois l'audace de la proposition et la qualité de certains décors malgré le budget zéro du film mais le résultat final, lui, est oubliable instantanément. -TR

Aucune date de sortie française n'est encore prévue pour ce film.






***JEUDI 12 SEPTEMBRE***

LA PEUR AU VENTRE, Wayne Kramer, 2006 : Wayne Kramer: ce nom vous dit quelque chose ? Si non, il n'y a pas de quoi avoir honte. Cinéaste oublié en raison des échecs de ses quatre films, de Lady Chance à American Stories, avant d'arrêter sa carrière, il est pourtant le seul réalisateur à avoir sorti un film sorti après 2000 sélectionné par le journaliste Jean-Pierre Dionnet pour sa carte blanche. La peur au ventre, sous son apparence de film d'action dans la veine de Fast & Furious en raison de la présence de feu Paul Walker, est un western urbain qui se rapproche plus de la fureur de Hyper tension, du duo Mark Neveldine/Bryan Taylor. L'admiration du personnage appelé Anzor pour une figure comme John Wayne résume à elle seule le grand message du film: La peur au ventre est un métrage violemment ironique sur la fin d'une Amérique sans foi ni loi, en mutation constante, où les idoles se retrouvent dans des lieux circonscrits pour se battre, loin de l'Ouest hostile de la fin du XIXè siècle. Il est donc facile de rire devant la scène grossière où Paul Walker, constamment près du burn-out tant il semble hurler contre tout le monde, force son voisin d'origine russe à dire qu'il est fier d'être citoyen américain.

A la manière d'un road-trip passif, puisque la direction prise ne dépend d'aucun des personnages mais de nouveaux actants aussi improbables que dangereux (un proxénète cocaïné, des Mexicains armés jusqu'au cou, et même des pédophiles dans un décor labyrinthique), le film garnit ses arcs narratifs par le simple enchaînement de scènes d'action spectaculaires, esthétiquement de plus en plus improbables, car la personnalité des personnages ne dépend que du flingue qui est dans le prolongement de leurs bras. Toutefois, il serait mentir que de dire que le film est parfait: à force d'enchaîner l'action, parfois avec des prétextes abracadabrantesques, le scénario devient très confus quitte à ce qu'il ne soit plus du tout intéressant. La dernière demi-heure se suit alors bêtement, sans aucune compréhension du récit tant il en devient incompréhensible, avec une histoire de guerre de gangs, et un twist sur le personnage principal qui aurait gagné à être présenté dès le début pour provoquer une empathie et surtout plus de dilemmes moraux dans le récit. C'est quand même pas bien grave: en tant que grand défouloir cynique, le film remplit aisément son contrat. -TB



STRANGE DAYS, Kathryn Bigelow, 1995 : Strange Days est résumable par sa simple affiche, encore utilisée pour les DVD et Blu-Ray. Ralph Fiennes, en gros plan écrasé dans un simili-cinémascope, se place au-dessus du titre du film sur fond noir. Cette représentation de Ralph Fiennes circonscrit dans un cadre raconte à elle seule la paranoïa constante de l'homme face à l'écran et sa relation obsessionnelle vis-à-vis de celui-ci, en dehors de l'obscure réalité . Dans une hantise encore actuelle de faire disparaître l'écran au profit d'une expérience immersive, Kathryn Bigelow raconte cette interdépendance aliénante pour questionner la place du racisme au pays de l'Oncle Sam, à l'époque des affaires Rodney King ou encore OJ Simpson. Les bandes, nouveaux paradis artificiels, sont alors un témoin de véracité pour les actants, dans un pays où les relations humaines sont au point mort, communiquant uniquement par l'image et par les multinationales qui le gouvernent presque. Satire d'anticipation encore en avance sur son temps et qui questionne notre rapport aux images du direct, sans influence du montage, Strange Days est un OVNI immanquable, qui mérite un grand nombre de revisionnages pour apprécier pleinement sa structure complète et complexe. -TB




GHOSTS... OF THE CIVIL DEAD, John Hillcoat, 1990 : Bien avant La Route ou encore Triple 9, John Hillcoat avait développé une carrière aux allures bien plus underground et notamment auprès de Nick Cave, avec qui il co-écrivit ce premier essai filmiques plus inattendu qu'il n'y paraît. Centré sur un complexe pénitentier qui va céder de plus en plus à ses pulsions d'ultra-violence à mesure que ses prisonniers deviennent privés de leurs biens personnels, Ghosts... of The Civil Dead est un film dont les premières minutes exigeantes peuvent nous faire dévier de l'oeuvre, mais dont la violence psychologique nous happe entièrement dans sa seconde partie.

A la fois oublié du grand public mais pourtant essentiel et novateur dans sa manière d'incarner l'univers des prisons à haute-sécurité, ce premier film de John Hillcoat est une oeuvre noire à découvrir sans aucune hésitation tant elle parvient à nous plonger dans un monde de folie et de violence avec une force rarement perçue comme tel. On pourrait lui reprocher un certain manque de moyens lors des scènes les plus ambitieuses, mais son scénario est suffisamment bien ficelé pour nous faire prendre son propos de plein fouet comme il se doit. -TR



C'est tout pour aujourd'hui au Forum des Images... Mais ce n'est pas tout pour ces dix jours, on se retrouve dès demain pour de nouvelles aventures ! Si, par la force ou en dépit des critiques, vous aimeriez plonger dans l'Étrange durant cette dizaine d'après-midis, le planning des séances ainsi que les tarifs sont présents à cette adresse: https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/etrange-festival-2019, ou directement sur place, au Forum des Images ! A bientôt sur le site...

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