ÉTRANGE ANNIVERSAIRE L'ÉTRANGE #7 - MAN VERSUS SAM

Pour la deuxième année consécutive, D'un Écran à l'Autre est heureux de couvrir L'Étrange Festival situé au Forum des Images, du 4 au 15 septembre prochain. Pour son 25ème anniversaire, le festival offre l'une de ses programmations les plus ambitieuses, entre ses pas moins de vingt-cinq cartes blanches laissées à des artistes audiovisuels, ou encore une compétition internationale garnie de nombreuses premières françaises. Et au programme d'aujourd'hui: l'Amérique de Trump, l'Amérique se trompe, l'Amérique en trombe. Vous trouvez ça étrange ? Non ? Attendez un peu...



THE EL DUCE TAPES, Rodney Ascher & David Lawrence, 2019 : S'embarquer dans The El Duce Tapes, c'est plonger tête la première dans l'univers auto-destructeur, nihiliste et profondément acharné du punk underground américain des années 80. Si les plus initié.es connaissent très certainement déjà G.G. Allin, notamment pour ses prestations scéniques à base d'auto-mutilation et de scatophilie, Eldon Hoke (plus connu sous le nom de "El Duce") n'était clairement pas en reste au sein de The Mentors, groupe dans lequel il officiait en tant que batteur et chanteur jusqu'à sa mort en 1997. Si la vie de l'homme méritait déjà un documentaire en soi, son origine est d'autant plus fascinante, puisque la quasi-totalité des rushes, présentées ici pour la première fois, furent tournées au cours des années 1990 et 1991 par un jeune acteur qui deviendra très vite un proche du groupe, avant d'être abandonnées puis finalement exhumées 28 ans plus tard par deux réalisateurs, dont l'un deux est déjà à l'origine du mémorable Room 237.

Nous voilà donc devant un objet filmique à la fois hors du temps mais aussi terriblement en phase avec nos mentalités actuelles, tout particulièrement lorsque l'on aborde l'aspect ultra-provocateur et misogyne de El Duce au sein de ses créations musicales, que Rodney Ascher & David Lawrence explorent avec une véritable fascination. Enfin, au-delà du portrait que le film porte sur un artiste fascinant mais terriblement parasité par ses démons, c'est surtout un témoignage extrêmement vital sur l'identité punk à l'aube des années 90, alors que le Death Metal de Cannibal Corpse et le Grunge de Nirvana allaient mettre au placard toutes les vieilles gloires du passé. Un document essentiel, déconseillé aux âmes sensibles, mais véritablement unique. -TR.



America, fuck yeah ? El Duce, c'est un nom devenu une institution aux États-Unis. Présenté comme un Larry Flint grossier et aux paroles insoutenables, le musicien et chanteur du groupe des Mentors crache à la gueule d'une Amérique en proie à un retour de bâton de ses longues années de puritanisme artistique, par le biais d'enregistrement vidéo qui prouvent l'incompréhension de cette caste qui ne cherche qu'à provoquer les âmes les plus prudes. Les Mentors, c'était un groupe ambigu, où la subversion de certains membres du groupes se mêlait à l'imprévisibilité de son leader alcoolique, parfois violent, dangereux (notamment lorsqu'il répète "Hail Hitler" gratuitement face caméra - personnage ou idéologie véritable ?), mais qui est un paradoxe tant il est entouré par des personnes de tous horizons, à laquelle il s'efforce de prendre soin. Son charisme et son désir de liberté maquillent une solitude immense qu'il ne parvient jamais à combler, si ce n'est dans les paradis artificiels, et une obsession de la mort qui le mena à sa perte. Caustique puis inquiétant, mais toujours avec un regard à taille humaine, David Lawrence et l'inénarrable Rodney Ascher (déjà auteur du fantastique Room 237) s'en donnent à cœur joie pour assembler la carrière d'un homme définitivement pas comme les autres, qui a réveillé une Amérique alternative qui avait besoin qu'on l'écoute, quitte à se perdre dans les méandres de la folie de sa propre carapace. Jolie découverte. -TB.

THE EL DUCE TAPES sera rediffusé au Forum des Images le 15 septembre prochain, à 21h30. Plus d'infos sur le film sur le site du Forum des Images indiqué ci-dessous. Aucune date de sorte française n'est encore prévue pour ce film.



KNIVES AND SKIN, Jennifer Reeder, 2019: Faisant le tour des festivals à une allure impressionnante, Knives and Skin était l'un des noms très attendus de cet Étrange Festival. Mais on déchante bien vite lorsque l'on se rend compte que l'on assiste surtout là à une jolie coquille vide, qui n'a pas vraiment grand chose pour elle. Partant d'un postulat très similaire à celui de Twin Peaks mais prometteur, avec cette jeune femme disparue qui va inconsciemment réveiller certains secrets enfouis de la bourgade, on s'aperçoit bien vite que le film de Jennifer Reeder passe complètement à côté de son sujet, enchaînant trop les références pour avoir sa propre identité, multipliant les sous-intrigues avec des personnages dont on ne se prend aucunement d'affection et répétant sans cesse les mêmes effets de style à une cadence déraisonnable.

Ce qui est d'autant plus triste, c'est que par-delà la déception, on a surtout le sentiment que sa réalisatrice à surtout cherché à trop en faire, sans avoir de réelle confiance en ses choix scénaristiques, donnant un ensemble boiteux et qui semble véritablement aller dans toutes les directions, sans que cela ne paraisse naturel à aucun instant. Pamphlet féministe, thriller de disparition, teen-movie, Knives and Skin est une oeuvre dont la sincérité n'est pas à prouver mais qui manque cruellement d'aboutissement, majoritairement dans son scénario. -TR.

KNIVES AND SKIN sera rediffusé au Forum des Images le 13 septembre prochain, à 15h15. Plus d'infos sur le film sur le site du Forum des Images indiqué ci-dessous. Le film sortira dans les salles françaises le 20 novembre 2019.




GREENER GRASS, Jocelyn de Boer & Dawn Luebbe, 2019 : "Qu'est ce qu'il vient de se passer ?" Voilà approximativement notre ressenti à la sortie de cet étrange ovni qu'est Greener Grass. Se présentant comme une satire à l'extrême des banlieues américaines, de leurs codifications et de leur esprit de compétition, cette première réalisation de Jocelyn de Boer et de Dawn Luebbe (qui interprètent également les deux personnages principaux) est un cri du coeur en l'honneur de l'humour absurde et non-sensique, qui trouve ici un point de non-retour assez magistral. Si le film est loin d'être sans défauts, notamment une mise en scène parfois un peu légère et une photographie pas toujours très travaillée, il est clair que l'univers déjanté dans lequel le film nous plonge arrive complètement à nous faire passer outre ces détails, tant le film comporte un certain nombre d'idées visuelles et humoristiques particulièrement grinçantes et géniales, sans jamais tomber dans le vulgaire ou le too much.

S'il est évident que Greener Grass est un film assez difficile à présenter, nul doute qu'il s'agit indéniablement du genre de film voué à connaître une carrière modeste mais assurée auprès d'un public de fans entièrement dévoués à sa cause. On aurait presque aimé en voir un peu plus tant cet univers fou regorge de détails incroyables (mention spéciale aux passages télévisuels tous plus cultes les uns que les autres). On adore ou on déteste mais dans notre cas, c'est le premier choix qui l'a clairement emporté. -TR.



Compliqué de parler d'un film dont les lourds défauts très visibles ne cachent pas l'hilarité générale de la majorité des séquences. Issues de banlieues pavillonnaires dignes de Wisteria Lane dans Desperate Housewives, les deux réalisatrices Jocelyn de Boer et Dawn Luebbe tournent en dérision leur ancienne vie réglée via un spectacle absurde qui tourne au sadisme non dissimulé. D'une exposition aussi grossière que complètement déjantée (une femme donne son nouveau-né à sa voisine sans raison apparente) s'articulent le programme du film: une succession de saynètes, passablement raccordées et dignes d'une succession de vidéos YouTube où se croiseraient Eric Andre et Mister V, très drôles sur le mode de vie et le comportement je m'en foutistes des personnages qui virent au sarcasme tant le puritanisme et l'esprit woke actuel rend le tout très voire trop policé. Le casting, aussi déjanté que la situation, permet de conserver une vivacité dans l'humour qui fonctionne progressivement par l'épuisement du spectateur, un essorage par des très longs tunnels de dialogue qui le forcent à abdiquer à l'arrivée du ressort comique. Un film très loin d'être parfait donc, jamais sérieux tant dans ses maigres enjeux que dans sa vision du monde, mais qui risque, par son idiocratie et son enchaînement de séquences, de devenir un objet culte pour une fange cinéphile avide de regard cynique et décomplexé sur la société américaine. -TB.

Aucune date de sorte française n'est encore prévue pour ce film.


C'est tout pour aujourd'hui au Forum des Images... Mais ce n'est pas tout pour ces dix jours, on se retrouve dès demain pour de nouvelles aventures ! Si, par la force ou en dépit des critiques, vous aimeriez plonger dans l'Étrange durant cette dizaine d'après-midis, le planning des séances ainsi que les tarifs sont présents à cette adresse: https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/etrange-festival-2019, ou directement sur place, au Forum des Images ! A bientôt sur le site...

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