ÉTRANGE ANNIVERSAIRE L'ÉTRANGE #6 - LUTTE(S) FINALE(S) (?)

Pour la deuxième année consécutive, D'un Écran à l'Autre est heureux de couvrir L'Étrange Festival situé au Forum des Images, du 4 au 15 septembre prochain. Pour son 25ème anniversaire, le festival offre l'une de ses programmations les plus ambitieuses, entre ses pas moins de vingt-cinq cartes blanches laissées à des artistes audiovisuels, ou encore une compétition internationale garnie de nombreuses premières françaises. Et au programme d'aujourd'hui: des néo-nazis, des néo-amoureux, des néo-divorcés. Vous trouvez ça étrange ? Non ? Attendez un peu...




A WINTER'S TALE, Jan Bonny, 2019: Difficile, au visionnage de A Winter's Tale, de ne pas reconnaître une direction d'acteurs précise de la part de Jan Bonny. Dans son oeuvre à la lisière du naturalisme, le réalisateur allemand organise une fracture dans son triangle amoureux proche du terrorisme identitaire. En déplaçant l'un de ses personnages principaux dans l'espace filmique, jouant des apports tridimensionnels du plan pour y dresser des lignes de fuite qui tendent vers un final inexorable, Bonny dépeint le quotidien d'un trio uni pour le meilleur et pour le pire, dans un environnement cosmopolite où ils se positionnent comme des marginaux aux pensées de plus en plus radicales.

Mais c'est là où les points positifs du film s'arrêtent pour atteindre très vite ses limites: le film dure 2h05 et appuie ses nuances  un misérabilisme horripilant. Avec une volonté d'être sans concession par un refus total de juger ses personnages et de les emmener dans les situations les plus extrêmes, ces mêmes personnages en quête de reconnaissance sont appuyés avec des impératifs white trash ridicules, qui font tomber le long-métrage dans la caricature totale. Difficile de ne pas rire devant les scènes de sexe répétitives qui masquent à peine la fébrilité du film, par une accumulation de motifs devenus poncifs du genre. Les acteurs, qui plus est, semblent totalement perdus après à peine 30 minutes de film tant ils paraissent n'avoir rien d'autre à jouer, que de tenir la chandelle à un réalisateur dont la posture douteuse d'être tout le temps dans la provocation peut lui donner des allures de poseur au regard primaire. De bonnes idées, sacrifiées sur l'autel de la gratuité lassante.

A WINTER'S TALE sera rediffusé au Forum des Images le 13 septembre prochain, à 14h15. Plus d'infos sur le film sur le site du Forum des Images indiqué ci-dessous. Le film sortira dans les salles françaises le 22 janvier 2020.



ADORATION, Fabrice du Welz, 2019 : Avec son casting en or massif, un pitch fidèle aux thématiques de son auteur et un retour comme il se doit en terres ardennaises, dire que Adoration était attendu relèverait du pur euphémisme. Et fort heureusement, Fabrice du Welz n'aura clairement pas déçu les attentes. En suivant la fuite de deux jeunes enfants amoureux, l'une d'entre eux venant tout droit d'un hôpital psychiatrique, le réalisateur de Calvaire livre ici son oeuvre la plus intime mais également la plus "à fleur de peau" de toute sa carrière au travers d'un récit minimaliste à l'extrême et guidé que par l'amour naissant, presque naïf, et le désir de liberté. Mais en plus d'être une sorte d'oeuvre-somme de toutes ses inspirations, Fabrice du Welz offre également à son casting des rôles sur-mesure, qui offrent en retour des performances tout simplement mémorables. Si Thomas Gioria et Fantine Harduin prouvent une fois de plus leurs talents exemplaires, Benoît Poelvoorde n'est pas en reste et livre ici un des rôles les plus touchants de toute sa carrière, aux allures de chant du cygne.

Malgré le fait que certains éléments viennent par moments noircir le tableau, comme un scénario parfois aux frontières du too much ou une mise en scène volontairement mais trop anarchique, il est difficile de nier toute la force émotionnelle de Adoration ainsi que des merveilleux décors que le film nous offre à voir. On ne peut lui souhaiter que nos meilleurs vœux de réussite auprès du grand public et on espère qu'il s'agit là d'une vraie résurrection du réalisateur en attendant la confirmation sur son prochain film, Inexorable-TR.



Dire qu'un bon film de Fabrice du Welz arrive très prochainement dans les salles françaises n'est pas un propos rare. Cependant, annoncer qu'il s'agit très sûrement de son meilleur film est aussitôt plus intriguant. Difficile d'imaginer sur le papier une romance enfantine par le réalisateur d’œuvres aussi sulfureuses que Alléluia, mais le prolongement de son dispositif trouve ici son sommet par une épure quasi-totale de chaque plan. Habillé d'un grain argentique qui lui offre un côté nébuleux et confortable, Adoration est une romance fabuleuse qui évite les écueils du genre (notamment de sur-expliquer les possibles origines psychologiques de - l'excellente ! - Fantine Harduin, qui lui causent tant de problèmes) et la violence graphique qui serait malvenue ici, pour s'amuser de son environnement et d'effets de style purement cinématographiques comme description de la relation volcanique qui découle des deux enfants. Oeuvre audacieuse sur la candeur des sentiments, Adoration touche la grâce dans sa dernière demi-heure absolument fabuleuse, faux climax expéditif car instinctif, qui conjugue les effets météorologiques à la psyché confuse des jeunes tourteaux en proie à un imaginaire menaçant. Benoît Poelvoorde, dans un rôle qui parait avoir été écrit uniquement pour lui, effectue ici l'une de ses prestations les plus déchirantes, où son cri du cœur se transmet par le langage sans cesse énigmatique des grues. Béatrice Dalle criait au grand film en sortant de la salle: difficile de lui donner tort. -TB.

ADORATION sera rediffusé au Forum des Images le 15 septembre prochain, à 19h15. Plus d'infos sur le film sur le site du Forum des Images indiqué ci-dessous. Le film sortira dans les salles françaises le 22 janvier 2020.




SWALLOW, Carlo Mirabella-Davis, 2019 : Les "jolies surprises", les "belles curiosités" ou encore les "agréables découvertes", c'est bien joli au bout de 6 jours de festival mais il manquait encore LA claque, LA vraie révélation d'un cinéaste prometteur et doté d'une véritable vision. Et c'est alors qu'arriva Carlo Mirabella-Davis et son pitch hautement tordu : celui d'une jeune femme enceinte développant un TOC la poussant à avaler toutes les choses insolites lui tombant sous la main, allant d'une simple bille jusqu'à un cadenas. Autant briser le suspense d'emblée, Swallow est une véritable petite pépite du genre, voguant à sa guise entre critique acide de la condition féminines dans les classes supérieures, humour noir et extrêmement cynique, le tout avec une petite touche Cronenbergienne qui dépasse amplement le stade de la simple référence. Porté par une Hayley Bennett à la fois terrifiante et touchante dans ses agissements, le film parvient sans cesse à renouveler son concept et à nous surprendre, jusqu'à aller dans des sentiers insoupçonnés mais qui creusent davantage le mal-être intérieur qui ronge notre personnage principal et qui la conduit à cette auto-destruction maladive.


Loin de moi l'envie de tirer des plans sur la comète mais à la vision de Swallow, j'ai eu le  fort pressentiment que Carlo Mirabella-Davis a toutes ses chances pour devenir le nouveau grand nom du cinéma d'horreur indépendant américain, de la même manière que Richard Bates Jr. ou encore Lucky McKee. L'avenir nous donnera raison (ou non) mais en l'état, une chose est certaine, c'est que Swallow est à découvrir au plus vite. -TR.


Swallow est un film sur l'absence et le vide. Un vide existentiel, une lutte des classes vue de loin, un subconscient résistant toutes les épreuves, et une absence de soutien moral face à une situation qui dégénère sans que personne ne comprenne pourquoi. Il n'est pas rare de voir dans ce film de nombreux plans où Hunter (merveilleuse Haley Bennett) se retrouve en bord cadre, attirée vers l'arrière-plan par un bokeh qui aplanit l'arrière plan et l'isole dans une profondeur de champ réduite, terrain d'abstraction des formes. Un autre plan même, la voit également en bord cadre, face à une vitre qui rend artificiel le couple qu'elle forme avec Richie, son mari absent et possessif, visible dans le reflet de la vitre. Même la preuve d'une possible place dans l'univers bourgeois dont elle se sent mise à l'écart se retrouve être un fantasme étrange d'un homme dont la volonté est de faire un câlin à toutes les femmes qu'il croise sur sa route.

Avaler des objets interdits, braver l'étrange, devient un moyen d'exister et de trouver une forme d'existence aux yeux de tous, qui la font devenir autre chose qu'une forme derrière une vitre, observant au loin une nature qui lui est prohibée. Combler le vide, c'est alors découvrir autrui, transférer son intérêt vers les êtres qui se connaissent et comprennent leur position, de l'infirmier syrien au caractère bien trempé à l'homme qui a violé sa mère, et qui lui a donné la vie. C'est ce à quoi Swallow travaille: questionner le vide, le remplir par l'interdit, transgresser l'impardonnable, bien qu'il semble absurde, pour atteindre les points les plus sensibles de sa personnalité et enfin appréhender l'espace promis à la jeune femme, sans cet écrasement verbal et symbolique persistant. On s'amusera également de quelques trouvailles comiques, qui défient les archétypes des comédies dramatiques sur fond de douloureuse rupture amoureuse, mais l'essentiel est ailleurs: le film est très fort, peut-être trop ampoulé dans sa forme déjà traitée de manière sensiblement identique par d'autres réalisateurs admirateurs des weirdos américaines, mais qui conserve une verve thématique réjouissante. A ne pas manquer. -TB.

SWALLOW sera rediffusé au Forum des Images le 14 septembre prochain, à 15h15. Plus d'infos sur le film sur le site du Forum des Images indiqué ci-dessous. La sortie nationale du film est prévue pour février 2020.



C'est tout pour aujourd'hui au Forum des Images... Mais ce n'est pas tout pour ces dix jours, on se retrouve dès demain pour de nouvelles aventures ! Si, par la force ou en dépit des critiques, vous aimeriez plonger dans l'Étrange durant cette dizaine d'après-midis, le planning des séances ainsi que les tarifs sont présents à cette adresse: https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/etrange-festival-2019, ou directement sur place, au Forum des Images ! A bientôt sur le site...

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