AD ASTRA - WE ARE ALL MADE OF STARS

Le cinéma de James Gray, c'est avant tout un cinéma de personnages. Des personnages non pas célèbres pour leurs excentricités scénaristiques, mais pour leurs liens tissés autour d'un seul, constellation narrative où les trahisons, mensonges et déceptions guettent en permanence au loin. Cinéaste de l'intime, c'est dans - à l'heure actuelle ! - Ad Astra, sur le papier sa fresque la plus démesurée et la plus ambitieuse, qu'il rejoint les enjeux personnels à ceux macroscopiques, sans pour autant l'ignorer totalement.



Brad Pitt, superstar au firmament depuis de nombreuses années, était le candidat idéal au premier rôle du film, par son incapacité à être "Monsieur-tout-le-monde". Héros d'un récit dont il couvre presque tous les plans, il est la représentation parfaite de la théorie Campbellienne du héros aux mille visages. Relecture fidèle du mythe quitte à replonger directement dans les aventures homériques, Ad Astra s'emploie à réutiliser de nombreuses œuvres de science-fiction, quitte à même se faire rejoindre les deux adaptations du livre Solaris de Stanislas Lem dans de nombreuses scènes par l'utilisation maligne de la "Hard SF", pour les faire absorber par son protagoniste, ogre du cinéma hollywoodien, qui les transcende par sa propre quête intime. Il n'est donc pas un hasard que sa dernière métamorphose avant le dernier acte, soit une figure qui ressemble de manière troublante à son propre faciès dans L'Armée des 12 Singes de Terry Gilliam, croisement ici entre la carrière de son acteur-personnage de 55 ans qui remonte le temps au fur et à mesure qu'il s'enfonce dans l'abîme, quitte à retrouver des souvenirs et sensations d'enfance avant la rencontre avec son père; et la caractérisation de sa folie qui s'invite dans un caractère presque autistique de celui-ci.

Figure vide, dépourvue de toute émotion car "entraînée" pour pallier à tout éventualité spatiale, Roy McBride est à l'image du film, un personnage qui prend sens au fur et à mesure que la mission l'habite personnellement, dont la précision clinique et froide dévoile un côté anti-spectaculaire au film, qui s'amuse à prendre à contre-pied ses prédécesseurs du genre. Chaque action vouée à offrir un divertissement n'est provoquée que par la profusion d'événements involontaires qui trouvent ensemble une coïncidence hasardeuse. C'est en cela que James Gray livre un film jamais loin d'être suicidaire: il rend Brad Pitt en permanence faussement actif pour coller au réalisme spatial, mais aussi au refus d'autrui des astronautes après leurs missions, que le réalisateur américain aurait étudié avant la production du film. La mission spatiale devient alors une mission intérieure, puisque l'espace est devenu un terrain trop conquis: il n'est pas impossible de trouver plus déceptif que merveilleux l'alunissage du protagoniste, où apparaît en bord cadre une gigantesque station spatiale qui signifie à elle seule que la galaxie n'est plus un secret depuis bien longtemps. 



C'est en ça également que les références trouvent ici leurs sens: fort d'une aventure longtemps défrichée par d'autres auteurs très célèbres dans divers médias, Ad Astra raconte par son collage d'influences le passage en terrain conquis d'un être sans substance. De Joseph Conrad (Au cœur des ténèbres) à Andrew Stanton (Wall-E) en passant par Phillip K. Dick (Ubik), le film rebat les cartes de ses prédécesseurs pour mieux les contrer, en y parasitant petit à petit ce qui est vraiment le but de la mission de Roy: trouver son père, et non le précurseur du projet spatial auquel tous font partie. Le post-modernisme science-fictionnel se retrouve alors bousculé par un regard intergénérationnel qui le coupe de tout archétype du genre et le rend humain, et c'est en cela que Roy, enfin, fait son catharsis et devient un être humain, et non une enveloppe malléable. La clé ici n'est alors plus de déchiffrer l'influence. La clé est de se déchiffrer soi-même.





AD ASTRA

EN COMPÉTITION LORS DE LA SOIXANTE-SEIZIÈME ÉDITION DU FESTIVAL DE LA MOSTRA DE VENISE

Un film réalisé par James Gray

Écrit par James Gray et Ethan Gross

Avec Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, Ruth Negga...

Monteurs: John Axelrad, Lee Haugen 

Directeur de la photographie: Hoyte van Hoytema

Durée: 2h04

Sorti dans les salles françaises le 18 septembre 2019.

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