UPGRADE - ON SE FAIT UN FIFA ?


Le plus amusant à Hollywood, c’est la faculté qu’ont les journalistes, spectateurs ou autres amoureux du cinéma de facilement délaisser ou oublier le scénariste du film au détriment du réalisateur, comme on en oublie parfois le monteur ou le chef opérateur. Si certains auteurs se retrouvent parfois propulsés sur le devant de la scène en raison d’un style novateur ou au mieux aiguisé – citons pêle-mêle Steven Zaillian, Aaron Sorkin ou Andrew Kevin Walker, certains se retrouvent complètement dans l’ombre, attendant parfois avec détresse la venue de la reconnaissance qu’ils pourraient mériter.

S’il est impossible de savoir au demeurant si Leigh Whannell était réellement désespéré de se savoir légèrement inconnu, il n’en reste pas moins l’une des figures de proue de cette non-reconnaissance par le public, éclipsé par son ami James Wan, plus prolifique. Pourtant, les scénaristes de Saw et Insidious, ce sont eux deux, en étroite collaboration. Et après quelques écrits transposés à l'écran par son ami réalisateur, empruntant toujours en filigrane l’idée du libre-arbitre et de la soumission à un corps étranger, le néo-cinéaste australien décida de tracer sa route, aidé par le gourou du cinéma bis des années 2000 Jason Blum, seul. En naît alors d’abord l’inintéressant (comme toute la saga en fait) Insidious – Chapitre 3, puis cette année Upgrade, film d’action science-fictionnel donnant l’illusion d’un concept matraqué de toutes parts par le genre depuis une bonne trentaine d’années, mais qui au final conserve une identité et des thématiques qui sont propres à son auteur sur, toujours, la soumission, mais aussi sur l’intermédialité artistique.




Si le scénario de base ne casse pas trois pattes à un androïde-canard de prime, il sait se reposer sur ses divers tiroirs narratifs pour mieux désamorcer chaque situation. Sans jamais créer de véritable twist à s’en arracher les cheveux, Leigh Whannell épouse le point de vue de son protagoniste pour mieux y déceler sa dualité entre sa puce électromagnétique implantée et son propre cortex cérébral. Dopé aux effets spéciaux toutefois un peu trop pauvres pour pleinement convaincre, le réalisateur sait varier ses procédés filmiques, oscillant de ce fait entre l’esthétisation volontairement outrancière de son univers futuriste, où se cachent les vices fondamentaux de l’humanité. L’ensemble est très justement policé, gouverné par des quantifications binaires pour masquer les tréfonds de l’âme cybernétique. 

De plus, chaque mouvement de caméra est toujours très contrôlé, fait naître une réelle intention, en alternance quoique didactique selon l’état de Grey Trace, personnage principal : le pied signifie l’immobilité, la tétraplégie ; la caméra portée signifie la liberté de se mouvoir, et qui en l’occurrence ici pour Grey de reprendre le contrôle de sa vie. Pour autant, comme indiqué dans la bande-annonce, l’implant administré au personnage interprété par un excellent Logan Marshall-Green combine ces deux techniques par le biais de l’effet visuel. Il est le croisement entre le ça informatique, dont le surmoi serait le cerveau de Grey; et le mouvement humain, pris en bataille entre le protagoniste et son implant. Il est en quelque sorte l'anomalie anatomique constatable par cet effet. Si Leigh Whannell ne semble jamais vraiment sortir de ce carcan filmique durant une bonne heure et demie, il pousse néanmoins son concept dans sa limite la plus extrême, à savoir se perdre dans une cacophonie visuelle en fin de métrage qui désorganise les points de vue et rend le tout volontairement confus pour brouiller les pistes sur les cinq dernières minutes.

Mais au-delà du processus filmique, l’intégralité de la narration est elle aussi vectrice d’une réflexion assez fascinante sur le croisement entre le médium cinématographique et celui vidéo-ludique. Par-delà sa structure basique digne de n’importe quel jeu d’action disponible depuis au moins vingt ans, où Grey ne fait que se balader d’indices en indices à partir d’un tutoriel initié par Stem, la puce électronique qu’il possède au niveau de ces vertèbres, celui-ci dévie progressivement vers une narration plus classique, plus cinématographique, recroisant alors les divers arcs étendus progressivement par le film pour revenir à des dilemmes tragiques propres à l’art vivant. Certaines storylines abattues (la policière qui enquête, Eron Keen – personnage qui rappelle sans trop se cacher Elon Musk, la mère de Grey…) se justifient alors pleinement et permettent de ne pas laisser le film se noyer dans sa narration trop balisée par un autre medium. Mais au-delà de cette déviation, il ne faut pas croire qu'il ne s'agit qu'un effet de manche, c'est aussi un rappel à la normalité: l'arc de Trey est pensé sous la forme d'un jeu vidéo car lui aussi prend ça comme un jeu, au travers de son interaction unique avec Stem, mais aussi par son côté sarcastique et progressivement détaché : il est l’être joueur et également l’être joué. Une scène même se révèle confirmatrice de ce choix, en parallélisant la nouvelle vie du personnage principal avec des gens jouant avec des casques VR. 

Le jeu vidéo, plus que les nouvelles technologies considérées comme toutes facilement défectueuses dans le film, peut aussi être pris comme une déshumanisation progressive à trop haute dose : l’être humain dans Upgrade est reconnaissable à sa faculté de déceler et posséder une émotion propre, un sentiment. Grey est un être humain du moment qu’il se surprend à voir ce qu’il commet de manière automatisée : les plans gores deviennent très rapidement plus courts, plus subliminaux, pour en transmettre une habitude au spectateur ; alors que le premier est sacrément douloureux à voir puisqu’il procure une sensation de nouveauté et de dégoût pour son personnage principal, pas encore obnubilé par les capacités surhumaines de son implant. 

Aussi peut-on voir en cet aspect vidéo-ludique une mise en scène diégétique, créée par la puce électronique elle-même, en recréant l'environnement narratif gravitant autour de Grey pour l'amener à penser comme dans un jeu vidéo. Ce jeu ne serait alors qu'un prétexte pour Stem de s'adapter à l'environnement en isolant son personnage dans son propre univers, balisé d'une différente manière. Ainsi, les nouvelles technologies n'interagirait que par un programme informatique commun avec l'être humain, dans le but de le faire se mouvoir. Tout ceci est visible dans la démarche de Grey lorsqu'il autorise Stem à contrôler son système nerveux: ses mouvements sont propices à un sommet de vallée dérangeante, qui inquiète aussi qu'il fit rire par sa soudaine apparition, ce changement de système filmique entre mouvement et plan fixe (comme expliqué ci-dessus), et le comique de l'absurde entre les paroles et les gestes de son protagoniste. Ce recoupement ne fusionne totalement dès lors que logiquement en fin de métrage par le biais d’une scène d’inversion des codes, entre empathie et fatalisme déjà bien annoncé, où tout se mélange justement pour comprendre qui est le joueur, qui est le joué, et quelle entité existante, organique ou mécanique, prend réellement le dessus sur l'autre.



Ainsi donc, au-delà du film d’action jouissif et parfois régressif dans le choix d’acting ou par la violence de l’élément graphique, Upgrade est un hommage appuyé au jeu vidéo, qui en exploite ses pleines capacités comme il en trouve ses limites à travers les arcs narratifs secondaires qui rappellent son protagoniste à ce qu’il commet. Un brûlot honnête à défaut d’être toujours réellement transcendant ou novateur dans ce qu’il dénonce, mais qui aura le mérite de lancer pleinement Leigh Whannell dans la sphère hollywoodienne des réalisateurs. Une très bonne surprise.






UPGRADE

EN SÉLECTION MONDOVISION AU VINGT-QUATRIÈME ÉTRANGE FESTIVAL

Un film écrit et réalisé par Leigh Whannell

Avec Logan Marshall-Green, Simon Maiden, Melanie Vallejo, Harrison Gilbertson...

Monteur: Andy Canny  

Directeur de la photographie: Stefan Duscio

Durée: 1h40

Sort dans les salles françaises le 3 octobre 2018.

INTERDIT AUX MOINS DE 12 ANS

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