BELLADONNA - PSYCHÉDÉLISME ET SEXUALITÉ FÉMININE


The Trip, Easy Rider, 2001 L'Odyssée de l'espace, Zabriskie Point, Lucifer Rising mais aussi Enter The Void ont un point commun : le psychédélisme. Aujourd’hui, le grand public en connaît les noms de ses grandes figures cinématographiques ou musicales américaines. La définition de ce genre est néanmoins souvent approximative ou biaisée, se limitant à une vague imagerie, le tout assorti d’une crainte légitime liée à l’absorption massive de psychotropes. L’association entre ce mouvement et la prise de stupéfiants est tout à fait fondée mais ne s’arrête néanmoins pas à ce seul fait: consommer des substances illicites n’est en aucun cas nécessaire pour apprécier l’art psychédélique. Pour comprendre la définition de ce mot remontons en 1957, avant qu'il soit associé à un motif coloré sur des t-shirts. C’est cette année que le psychiatre Humphrey Osmond invente le terme psychédélisme, au court d’une discussion avec l’écrivain Aldous Huxley, qui a alors récemment sorti Les Portes de la perception, un livre dans lequel Huxley raconte son expérience sous mescaline, suivi de réflexions sur le monde et les religions. Il pose déjà, à travers sa petite expérience de la drogue, les bases de ce qui deviendra le mouvement psychédélique – un terme qui provient du grec ancien, psyché (âme) et déloun (visible, montrer).

2016 marque la ressortie française d’une œuvre cette fois japonaise, pouvant s’inscrire dans le psychédélisme et qui, en 1973 proposait déjà, tout comme plusieurs œuvres de son époque, des éléments maintes fois réutilisé dans le futur. Parmi ces éléments, on note la représentation de l’acte sexuel (globalement féminin, masturbatoire ou pas) dans des enjeux esthétiques mais également politiques, liés de très près à la psychédélie. Mais qu’advient-il précisément de la psychédélie dans la représentation de la sexualité de Belladonna ?
Belladonna, réalisé par Eiichi Yamamoto, est le troisième et dernier volet de la série des Animera mais aussi de la Mushi Productions même puisqu’elle fait faillite la même année. Improbable adaptation libre d’un essai de Jules Michelet, le film fait suite aux Milles et une nuits et Cléopâtre, des dessins-animés érotiques. Belladonna est salué par la critique et nommé à l’Ours d’or, au Festival de Berlin mais ne rencontre qu’un faible succès en salles.
L’histoire est celle de Jeanne, une jolie jeune femme amoureuse de Jean, qui l’aime aussi. Le couple souhaite marier mais ne peut rémunérer le seigneur qui célèbre leur union. Ce dernier abuse alors de ses fonctions et viole Jeanne. Suite à cela, Jean rejette Jeanne et tombe malade. Le jeune couple s’enfonce petit à petit dans la misère mais est sauvé par le travail acharné de Jeanne qui fait un pacte avec le diable (qui prend l’apparence d’un pénis). Accusée de sorcellerie et observant ses désirs libérée, Jeanne se réfugie dans une étrange vallée, la Belladonna, dont elle prend le nom, et commence à exercer de nombreux talents auprès des villageois qui la respectent. Mais le seigneur souhaite se venger de cette femme qui lui fait de l’ombre.  




Un peu d’histoire…


Pour mieux comprendre le film, attardons-nous un instant sur son époque et sa conception. Belladonna a originellement vu le jour en 1973 au Japon (il a été achevé en 1972[1]) alors que, la même année, en France, est sorti La Planète sauvage de René Laloux autre film d’animation renommé s’inscrivant dans une certaine optique psychédélique. Bien que le film soit arrivé quelques temps après la libération sexuelle qui a secoué les années 60, à Berlin, le public est choqué et ne comprend pas qu’un dessin animé puisse être aussi cru. Les années hippies touchent pourtant à leur fin et trois grandes figures du rock psychédélique ont déjà succombé à l’usage de drogues deux ou trois ans auparavant : Jimi Hendrix, étouffé avec son vomi après avoir mélangé drogues et alcool; Janis Joplin, décédée d’une overdose; et enfin Jim Morrison, star des Doors, dont le nom était inspiré des Portes de la perception d’Aldous Huxley. Ce dernier n’a néanmoins pas officiellement directement succombé à la drogue mais à une crise due à une insuffisance cardiaque pour laquelle il était médicalement suivi. Des dessins animés plus ou moins psychédéliques ont déjà vu le jour. Les précurseurs, utilisant le surréalisme, sont déjà passés par là et ont même été suivi par au film de commande avec Yellow Submarine [2], mettant en scène les Beatles sur des chansons du groupe originaire de Liverpool. On note également des séquences spécifiquement psychédéliques dans des œuvres à priori plus « classiques », comme par exemple une scène d’Astérix et Cléopatre [3] datant de 1968, lors de laquelle Obélix, grand amateur de nourriture, est pris d’hallucinations lorsqu’il en est privé. Le manque de nourriture agit alors comme le sevrage de certaines drogues – pas de doute, nous sommes bien à la fin des années 60. 
Belladonna est composé d’une multitude d’aquarelles, souvent en plan fixe, un point certainement lié au petit budget du film, produit par une société sur le déclin. Le résultat de cette peinture utilisant largement le mélange avec l’eau est non seulement très coloré mais également plus ou moins diffus, communiquant la sensation d’une image presque rêvée. La technique de l’animation permet une grande liberté visuelle à l’époque où les possibilités d’expérimentation avec des effets spéciaux restent relativement limités. Le dessin est plus malléable que la prise de vue réelle et s’adapte pleinement à l’imagination des artistes. La direction artistique de Belladonna est assurée par Kuni Fukai qui n’hésite pas à utiliser des collages. Eiichi Yamamoto explique, dans un entretien accordé à Libération à l’occasion de la sortie du film, les choix esthétiques de l’œuvre :
« J’en ai profité pour laisser tomber tout ce qui pouvait évoquer le style Tezuka [dont la patte était très présente dans les précédentes productions de la Mushi, mais lui laissait cette fois une grande liberté] et adopter celui du peintre Kuni Fukai. Son style repose beaucoup sur l’expressivité des tracés, comme dans les estampes japonaises de l’époque d’Edo, qu’il colore ensuite à l’aquarelle avant de l’estomper. Sa palette de couleurs et la bavure particulière de ses dessins sont liées à cette technique. ». 

Les dessins de Kuni Fukai ne sont pas sans rappeler les peintures et esquisses d’Egon Schiele et Gustav Klimt (l’un étant d’ailleurs inspiré par l’autre), peintres autrichiens de la fin de XIXème siècle et début du XXème. L’un appartient à l’expressionnisme, l’autre à l’art nouveau et au symbolisme. L’art nouveau, né en réaction aux dérives de l’industrialisation, a d’ailleurs été une des inspirations du psychédélisme – les deux mouvements étant finalement liés par les mêmes désirs de contestations formelles. De nombreuses affiches pour des concerts ou pochettes d’albums psychédéliques ont été inspirées par le travail d’Alphons Mucha (1860 – 1939), peintre, affichiste, illustrateur, décorateur, architecte d’intérieur autrichien et fer de lance du style art nouveau.

1.      Alphons Mucha, affiche pour la savonnerie de Bagnolet (1897)

2.  Egon Schiele, Portrait d’une femme

3.      Affiche pour un festival de musique accueillant notamment Jefferson Aiprlane et Jimi Hendrix (1967)



Extrait de Belladonna

Belladonna s’inscrit dans une volonté d’expérimentation formelle, tout en utilisant et remettant au goût du jour des inspirations traditionnelles japonaises, comme l’explique Eiichi Yamamoto dans un entretien accordé à Libération en 2016 :

« La décision de supprimer le mouvement de la bouche lorsque les personnages parlent est issue de ces expérimentations. Dans le bunraku, le théâtre traditionnel de marionnettes, bien que les bouches des marionnettes ne bougent pas, les spectateurs prennent du plaisir au spectacle. Si Mushi Production avait pu tenir le coup après Belladonna, un film où les bouches restent immobiles, et produire un ou deux autres longs métrages du même style, le mien aurait mieux marché sans être considéré comme une œuvre si particulière. C’est bien dommage. En tout cas, chercher des formes d’avant-garde était une des caractéristiques des animateurs de Mushi Production. »[4]





D’une plante à la lutte des classes

Si la sorcière reste encore dans l’imaginaire collectif une femme laide ou du moins méchante, on sait dorénavant que jadis, les femmes accusées de sorcellerie n’étaient pas nécessairement âgées et couvertes de pustules ou ne cachaient aucun esprit démoniaque. A l’époque où il ne faisait guère bon d’être vieille fille sans être au couvent, ces femmes vivaient seules et maniaient la médecine. En cas de malheur, il était facile de s’attaquer à elle puisqu’elles ne disposaient pas de grandes défenses. La mauvaise réputation des sorcières est donc intrinsèquement misogyne.
Le nom de « Belladonna » (« belle dame ») est également celui d’une plante, la belladone (« atropa belladonna »), disposant de petites baies rouges ou noires aux propriétés hallucinogènes. Si la plante a été utilisée par les femmes riches pour dilater les pupilles en Italie lors de la Renaissance afin de correspondre aux critères de beauté de l’époque (d’où le terme de « belle dame »), elle contient surtout de la scopolamine, un dérivé de la tropane, qui provoque, à forte dose, d’intenses hallucinations délirantes. Elle peut, à faible dosages, être utilisée à des visées médicinales mais peut également s’avérer mortelle, c’est pourquoi il est dangereux de manger les baies de la belladone. Lors de l’Antiquité et du Moyen âge, la belladone est, par son caractère mortel et l’état qu’elle procure avant le décès de la personne l’ayant ingurgité, associée à la magie noire. Dans l’introduction de La Sorcière, Michelet associe d’abord la sorcière au terme de sage-femme, celle que l’on consulte pour guérir et dont le sens de la fonction n’est guère difficile à deviner, puis en explique son utilisation de la belladone :
«  Il lui advint ce qui arrive encore à sa plante favorite, la Belladone, à d’autres poisons salutaires qu’elle employait et qui furent l’antidote des grands fléaux du moyen âge. L’enfant, le passant ignorant, maudit ces  sombres  fleurs  avant  de  les  connaître.  Elles  l’effrayent  par  leurs  couleurs  douteuses.  Il  recule,  il  s’éloigne.  Ce  sont    pourtant  les  Consolantes (Solanées), qui discrètement administrées, ont guéri sou-vent, endormi tant de maux. » [6]
L’ombre du rituel et des psychotropes plane donc sur Belladonna, bien que le film n’y soit pas directement lié à première vue. En revanche, on peut adhérer à la lecture selon laquelle en devenant la sorcière appelée la Belladonna, Jeanne représente le pouvoir d’une drogue psychotrope qui permet au peuple opprimé, petits travailleurs acharnés pour leur Seigneur, d’accéder à un autre univers où seul leur plaisir compte, un univers intérieur dans lequel le chagrin imposé par la dureté du quotidien n’a guère place.  


S’il ne se déroule pas en 1973 mais lors du Moyen âge ou de la Renaissance (cette information reste floue), Belladonna est témoin des actions de son époque, à commencer par une libération sexuelle et une montée des mouvements sociaux. Le premier est la cause féministe : même si Eichii Yamamoto s’est défendu de vouloir faire un film féministe, il a précisé que cela ne le dérangeait pas comme étant en accord avec ses valeurs, le film traitant de l’exclusion, des plus pauvres comme des femmes. Quant à l’œuvre original de Jules Michelet, il est difficile de nier son féminisme adjacent, surtout que lorsque son époque est prise en compte. Dès l’introduction, Michelet insiste sur le caractère injuste des persécutions qu’ont pu vivre les sorcières. L’auteur les estime même davantage que les médecins des cours des rois et explique la maltraitance qu’elles ont subi par leur refus de se plier au rôle que la société imposait alors aux femmes.
Le second mouvement est celui de la lutte des classes. Le film semble s’achever sur une tentative ratée de révolte du peuple, menacé par les armes du seigneur mais l’épilogue propose des archives de la Révolution française présentant le peuple en héros. Quant à la religion, dernière institution du film, elle est très rapidement dénigrée, la volonté de Jeanne à vouloir rester pure, à repousser le diable étant vaine. Pire encore : ce qui est volontiers présenté comme une tentation interdite par l’Eglise est alors glorifié, tandis que les figures d’autorité religieuse se tiennent aux côtés du seigneur qui est le premier à abuser de sa fonction pour faire du mal à Jeanne. La cible du film est davantage l’hypocrisie du clergé qui accompagne le seigneur plutôt que la religion catholique. Bien qu’Aldous Huxley semble être, dans Les Portes de la perception, un fervent croyant, il précise « une religion ne peut survivre à moins qu’elle ne s’adresse aux hommes de toutes sortes et de toutes conditions »[7]. Si Jeanne prend position de déesse auprès du petit peuple c’est justement parce qu’elle s’adresse à tous, y compris aux plus démunis et aux plus misérables. Jeanne délivre aussi son pouvoir comme le prêtre délivre l’hostie, elle devient le chamane de ces populations, étant l’intercesseur entre les humains venus la consulter et la nature. Jeanne réconcilie l’Homme avec sa propre nature et ouvre un voyage introspectif qui n’est pas sans rappeler celui de rituels comme l’Ayahuasca, faisant eux-mêmes appel à des substances psychotropes (dans le cas de l’Ayahuasca, il s’agit du breuvage nommé Ayahuasca lui-même, composé de lianes, le rituel en question étant l’absorption du breuvage). Si l’on se penche sur l’étude du paganisme et du wicca, on peut éventuellement penser que Jeanne en tant que Belladonna correspondrait à une sorte de déesse mère (une croyance que l’on retrouve dans plusieurs peuples et qui date du paléolithique).




Une danse orgasmique

La (très présente) musique du film est l’œuvre de Masahiko Satō, musicien de jazz et compositeur de film. On y retrouve cette inspiration du jazz, associée avec des instruments traditionnels qui côtoient des instruments électroniques. Un chant féminin est parfois présent et mime même, lors du générique de début (interprété par Mayumi Tachibana), un bruit trainant semblable à celui d’un orgasme, accentué par un léger écho. Cette bande sonore (disponible ici) s’inscrit dans la lignée de la musique psychédélique. Dans Rock Psychédélique : un voyage en 150 albums, ouvrage qui, comme son nom l’indique, porte sur l’histoire du rock psychédélique, l’auteur David Rassent revient, dans une introduction, sur l’histoire de la musique psychédélique en ces mots :
« Enfin, l’un des plus prolifiques et visionnaires du genre est sans doute Sun Ra, dont les recherches sonores – effets, échos, nouveaux instruments, recherche de l’étrangeté... – le placent dès 1965, au nexus de sa période new-yorkaise, parmi ses plus radicaux défricheurs. À cet attrait pour l’électronique et l’espace, Sun Ra mélange tradition occidentale et orientalisme – notamment via sa fascination pour l’Égypte –, autant de tendances qui atteindront le rock avec un temps de retard. »
Et, plus tard :
« Un triangle entre l’Orient et l’Occident, axe terrestre, et un troisième sommet, l’espace, point de fuite incarné par l’univers de la science-fiction en vogue, auquel le psychédélisme fera écho par son abstraction sonore. »

Puis enfin, revenant sur les expérimentations sonores des Merry Pranksters :

« Il est d’ailleurs significatif que le travail sur le son et les bandes audio – collages, jeux stéréophoniques, démultiplications, delay, échos etc. – ait été au cœur du happening permanent que fut la vie des Merry Pranksters, dès 1964. »[8]

Il n’y a point d’espace en termes de voie lactée dans Belladonna mais un mélange entre jazz et instruments de musique asiatique, auquel on peut ajouter ce chant parfois présent, appuyé par un léger écho et, aux paroles répétitives, dont la répétition du nom de Belladonna semble mener la chanteuse à l’orgasme. Cette transe, souvent menée par la représentation des effets du LSD, l’est ici par l’acte sexuel (qui, comme mentionné précédemment, est ici indissociable de la représentation de psychotropes). C’est parfois aussi c’est un simple riff de guitare, entêté et répétitif, rythmé par les interventions d’une basse qui occupe la bande son.
Dans Belladonna, chaque rapport sexuel ou du moins chaque pénétration permet un nouvel enjeu figuratif de la relation charnelle. Le premier se déroule lorsque Jeanne subit le viol du seigneur, apparaissant écartelée, alors que du sang s’échappe de son corps. Il y a là deux dimensions, la dimension de la douleur physique (celle que Jeanne endure sous la violence des gestes de son agresseur) et la dimension de la douleur psychique (Jeanne souffre mentalement de cet acte « dégradant » à son égard). Le personnage n’étant néanmoins pas réellement écartelé, cette représentation du corps déchiré en deux représente davantage la douleur psychique que peut entraîner cette violence sur le corps. Par la suite, chaque rapport sexuel que vit Jeanne est présenté comme une sorte de trip hallucinatoire. On y retrouve l’état de transe, tel que défini dans le Nouveau dictionnaire de l’ésotérisme de Pierre A. Riffard :
« La transe (transport spirituel) est un état modifié de conscience impliquant d'abord un dédoublement, le vécu d'une division ou multiplication de personnalité (corps/âme, esprit propre/esprit étranger...), ensuite un automatisme psychologique, l'impression de subir certains phénomènes psychiques (autonomie de l'âme, incorporation d'un esprit...) »[9] .
La transe devient de plus en plus inconventionnelle, allant jusqu’à former une sorte de guirlande défilante, à l’écran, qui présente des personnes, hommes comme femmes, en train de se livrer à une sorte d’orgie, présentée comme une guirlande verticale mettant en scène des éléments de la nature et même des animaux. Ce rapport à la nature et cet antispécisme conviennent au personnage de Jeanne, à sa position proche de celle d’une chamane mais aussi aux revendications hippies des années soixante.
Face à une civilisation menée par un homme féroce et abusif, Jeanne représente la pureté originelle, quelque chose qui n’aurait jamais été dégradée, et certainement pas par le viol qu’elle a pu subir – contrairement à ce que pense Jean. La nature est ainsi source de splendeurs naturelles, c’est par cette nature oubliée ou réprimée que l’on découvert le plaisir et même le bonheur. Dans Zabriskie Point (Michelangelo Antonioni, 1970), on trouvait une scène d’amour entre les protagonistes dans le désert, qui se transformait en sorte de petite orgie (une vraie orgie aurait même été envisagée par le réalisateur). Des couples s’adonnent à des relations sexuelles les uns à côté des autres. Cette scène symbolisait, au milieu de nulle part, loin de toute civilisation, la représentation une libération des carcans de la société pour un retour aux sources de la vie, par le biais de l’amour et il en est ici de même dans Belladonna.


Epoques et cultures

Adaptation libre d’un essai français, à l’épilogue composé d’images de la Révolution française mais à l’interprétation originale japonaise, le film abolit consciemment la frontière entre Occident et Orient. Il crée à la fois une sorte de double contre-culture ou pouvant être considéré comme un univers échappant non pas seulement à une la culture perçue mais également à un mépris des lois de l’espace et du temps, créant un univers à part et nouveau. Et même si la fin de Belladonna évoque la révolte des peuples par des images de la Révolution française, évoquant elles-mêmes l’œuvre de Michelet, il est difficile, par les costumes ou les décors, d’inscrire le film dans un pays précis. Les dessins, par leur nature, ne témoignent pas davantage que la peau claire des personnages sur leurs origines ethniques. La forme continue d’exercer une certaine liberté par la représentation du seigneur, sombre personnage et porteur de destruction, dont le visage est celui d’un squelette, pour évoquer tout simplement la mort. La notion d’éclatement des lois temporelles surgit également lors d’une transe de Jeanne, les images de sexe plus ou moins abstraites laissant cette fois place à un défilement d’images d’actualité (du moins de l’actualité du début des années 1970). Les couleurs sont différentes et la colorisation utilisée diffère, cette séquence se distingue des originalités visuelles du reste du film pour embrasser davantage un mimétisme avec les autres œuvres psychédéliques précédemment citées. 

Une scène d'ailleurs présente dans la "bande annonce" ci-dessous : 

Le cinéma psychédélique rassemble aujourd’hui une multitude d’œuvres plus ou moins connues, des prémices expérimentales au populaire Enter The Void de Gaspar Noé, tout en passant par de nombreux clips vidéo. L’association entre la transe créée par la consommation de psychotrope et la libération du corps provoquée par l’orgasme sexuel n’est plus à présenter. Il en est de même pour les rapports entre addictions à diverses drogues et addiction à l’autre engendrée par la passion amoureuse – passion amoureuse elle-même souvent liée au sexe. Nous retrouvons ces approches dans Belladonna, dans lequel elles sont également intimement mêlées aux problématiques de société : inégalités sociales et inégalités de sexe. Cela nous rappelle que la psychédélie a connu son éclatement dans des contestations d’un ordre établi, dans la volonté d’un abolissement des limites, de la recherche d’une perception différente du monde pour un monde meilleur. Ce qui importe dans Belladonna c’est aussi le sentiment final que provoque Jeanne chez les paysans, qui affichent alors tous son visage triste, celui d’une innocence bafouée par un système injuste. Un visage ancré pour longtemps dans la rétine du spectateur.


[2] Yellow Submarine, réalisé par George Dunning, Al Brodax, Jack Stokes et Robert Balser, 1968, US/UK
[3] Astérix et Cléopâtre, réalisé par René Goscinny et Albert Uderzo, 1968, France
[6] La Sorcière, p.7, Jules Michelet, ed. 1966, Garnier Flammarion, édition électronique http://classiques.uqac.ca/classiques/michelet_jules/sorciere/michelet_sorciere.pdf
[7] Aldous Huxley, Les Portes de la perception, 1954, Editions du Rocher, p. 75
[8] David Rassent, Rock psychédélique : un voyage en 150 albums, 2015, ed. Le mot et le reste
[9] Pierre A. Riffard, Nouveau dictionnaire de l'ésotérisme, Payot, 2008, p. 288
 

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