CLIMAX - SANGRIA GRATUITE

Mais qu'est donc passé par la tête de ce cher Gaspar Noé ? Cinéaste français majeur en raison de sa propension à sans cesse innover pour en retirer les effets les plus viscéraux et sensitifs des corps et regards de ses acteurs, l'enfant terrible de la scène underground hexagonale se retrouve à faire un film tourné en trois semaines, sans scénario, avec plus de danseurs que de comédiens professionnels. En rameutant l'équipe de tous ses précédents films derrière la caméra, Gaspar Noé avance alors en terrain conquis. Et en fait, là est le problème.




Fidèle à sa réputation de "provo-punk trash", n'écoutant que lui, son ami Nicolas Winding Refn et son producteur Vincent Maraval, Noé fait de Climax son anthologie ultime, film-somme où se rejoignent ses références, ses instincts comme ses peurs primaires, mais dans un maelström cacophonique et éreintant à peine sauvé par son concept. En effet, se servir de danseurs aurait pu permettre au réalisateur-monteur de dévoiler la question du langage du corps dans un film formellement épuré, où la chorégraphie dépasse le verbiage. Ici, sa question du corps ne s'arrête qu'à un stade primaire, extrêmement vain, démonstratif et trop épisodique pour convaincre, qui n'invite jamais à une réelle réflexion. En découle alors en guise de substitution un flot de paroles imbitables sur une vingtaine de minutes sur les intentions de tous les personnages, leurs motivations, leurs secrets, etc. Si cela a pour but de faire très justement "monter la sauce", en préfigurant des conflits d'intérêt entre les différents personnages et les évidentes difficultés de créations de liens sociaux avant une explosion de violence, elles sont survolées en raison d'un sérieux manque de direction d'acteurs, rendant le jeu de chacun d'entre eux bien trop limité, là où ce jeu doit trouver un sens par rapport aux scènes de danse antérieures et ultérieures à cette plage. Si Gaspar Noé avait proposé très justement une dévitalisation totale de ses personnages hors de ses scènes de danse, en figeant entièrement les corps et ne leur proposant aucune expressivité lorsqu'ils déblatèrent leurs banalités, énonçant simplement des lieux communs avant d'introduire la deuxième partie peu dialoguée, l'entreprise aurait pu présenter un réel intérêt. Malheureusement, même ceci échoue en raison de l'asymétrie d'acting totale de son casting, qui n'arrive lui-même jamais à comprendre où son réalisateur complètement fêlé veut en venir. Dire de ce film qu'il est un objet un peu prétentieux en raison du fait que seul Noé semble comprendre les tenants et les aboutissants de ses choix encore une fois couillus, serait un doux et délicat euphémisme.


Non, ce qui intéresse Gaspar Noé, et c'est un demi-étonnement, c'est d'observer une synecdoque humaine aux différences plus frappantes que les ressemblances, officiellement impossible à réunir à cause d'un surmoi freudien effacé par la prise d'une drogue dure. Plus que le fond extrêmement douteux - la drogue comme éveil de conscience, sérieusement ?, c'est surtout l'exploitation des thèmes du réalisateur tellement adolescente que ça en vient inquiétant, rendant le spectacle extrêmement putassier et gratuit. Son sous-texte, tendant volontairement mais bien trop rapidement vers une impasse, tourne trop vite à vide à force de voir ses intentions être dissimulées de manière grossières dans son premier acte. Cela donne l'allusion d'un cinéma "trash pour faire trash", très vite sans aucun point de vue, et laissant alors un sentiment de recul bien trop important vis-à-vis des événements pourtant sordides qui se déroulent à l'écran. Recul qui naît sans doute de cet hallucinant manque d'audace de la part de Gaspar Noé, lui qui sans cesse questionna le spectateur sur la violence de ce qu'il contemple, sur la question de la limite de la légitimité de l'image. Or, ce qui frappe ici, c'est la limite de l'image du cinéma de Noé lui-même, qui par l'extrême suffisance des effets de sa mise en scène n'arrive pas à insuffler un quelconque sentiment de subversion ou de viscéral. Les cartons, allusions faciles à Seul contre tous, surchapitrent un récit déjà scindé pourtant suffisamment par les artifices des génériques désordonnés de Enter The Void, qui figurent le lâcher-prise et donnent l'illusion d'un récit non-clôturé. Le découpage de Love, basé sur des images noires entre les séquences ou les plans, n'a plus d'impact à force d'être utilisé pour des dialogues mal interprétés et trop lourds pour être intéressants à suivre. Et enfin, sa caméra libérée de toute contrainte physique, prise à Irréversible bien évidemment, ne trouve plus aucune utilité car n'intervenant que trop tard dans une mécanique bien trop réglée. A croire que c'est la candeur des artifices de Noé qui proposaient le vertige de sa mise en scène, et non pas les effets en eux-mêmes...




Ainsi, Climax s'impose comme le vilain petit canard de Gaspar Noé, un objet hybride dont sa monstruosité n'a d'égal que sa médiocrité. Il conviendrait de regarder la filmographie du réalisateur pour se rendre compte que ses influences et ses systèmes trouvent ici toutes leurs limites bien trop vite, offrant à Climax une dimension putassière, ridicule, et trop consciente de son entreprise. Il serait préférable que le réalisateur se tourne désormais vers un autre style de cinéma, s'il souhaite continuer à pérenniser comme un cinéaste avant-gardiste et innovant...






CLIMAX

EN COMPÉTITION A LA QUINZAINE DES RÉALISATEURS DU 71ÈME FESTIVAL DE CANNES

Un film écrit, monté et réalisé par Gaspar Noé

Avec Sofia Boutella, Souheila Yacoub, Romain Guillermic...

Directeur de la photographie: Benoît Debie

Durée: 1h35

Sort dans les salles françaises le 19 septembre 2018.

Commentaires