ATLANTIQUE - CEUX QUI RESTENT


En septembre, Mati Diop venait présenter Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir à l’Etrange Festival. Elle en profitait pour évoquer également Suicide Club de Sono Sion et Walkabout de Nicolas Roeg. On comprend, en voyant Atlantique, que ce choix et ces goûts représentent et peuvent définir une bonne part de son premier long-métrage. « Suite » indirecte d’un court-métrage documentaire, le Grand prix du jury au dernier Festival de Cannes porte le nom d’un océan, omniprésent tout au long du film et dans lequel disparaît Souleiman. N’étant pas payé par son employeur à Dakar, le jeune homme décide de rejoindre l’Espagne en quête d’une vie meilleure, laissant derrière lui Ada, son amante promise à un autre, plus riche. Autour d’Ada, qui se désole d’avoir prochainement un mari qu’elle n’aime pas, il y a aussi ses amies : Mariama, qui se veut bonne musulmane et respectueuse des traditions, ainsi que Fanta et Dior, qui revendiquent leur liberté à travers la fête et ne cachent pas leur désir d’argent.

Atlantique se concentre sur ces jeunes femmes qui restent à terre, coincées entre une poussière orange et une grande étendue bleue. Leurs points de vue divergent à travers des dialogues à priori anodins qui font progressivement état des préoccupations de la nouvelle génération sénégalaise. C’est l’œuvre d’une errance intérieure : à l’image de cette génération, Ada est bloquée entre des conseils contraires. A ces filles, s’ajoute un jeune policier, dont la détermination qui flirte parfois avec la naïveté semble faire de lui le dernier flic sénégalais aussi intègre. Si le film associe une certaine expérience sensorielle à ses idées, le personnage principal, tout comme les autres, peine à transcender. L’individualité de chacun aurait gagné à être plus appuyée pour une mise en valeur des émotions. Ce n’est pas la faute des interprètes mais plutôt à une écriture trop effacée, malgré la grâce avec laquelle les acteurs sont sans cesse filmés, toujours sublimés. 



Sous ses allures minimalistes, Atlantique dévoile petit à petit une cartographie anxiogène grâce à la répétition des mêmes lieux, des mêmes détails. Le quartier populaire de Dakar, qui abrite l’intrigue, se transforme progressivement en une sorte de huis-clos dont personne ne sort. L’enfermement justifié par un manque de moyens financiers des personnages s’associe ainsi à la thématique d’un deuil impossible parce que miné par l’attente digne d’un appel, d’un signe de vie. On comprend petit à petit le rôle de barrière de l’océan, qui semble engloutir ceux qui s’y aventurent. De l’autre côté, en direction des terres, on retrouve systématiquement, en arrière plan, une grande tour, hôtel de luxe, que l’on devine bâti à la sueur d’ouvriers également impayés. En prenant la mer, les personnages des « petits-amis » ne font que se diriger dans le piège mortel que leur tend le système corrompu qui a permis l’existence de cette tour, devenue présage du malheur. Il n’est donc pas question pour Diop de s’aventurer au-delà des plages sénégalaises et se côtoyer l’horizon : l’errance d’Atlantique se cantonne au continent. Les personnages féminins doivent, eux, se perdre à force de tourner en rond. Il en résulte quelque chose de toujours plus bouillonnant, jusqu’au beau final en demi teinte puisqu’on ne sait pas s’il sent le regret et la mélancolie ou l’épanouissement intérieur, ou encore même un peu de tout ça.

Atlantique mêle ses différents genres et ses différentes thématiques avec brio. La tragédie sociale et politique n’étouffe jamais le drame amoureux et les éléments de fantastiques, chargés de symbolisme, s’intègrent dans le lot. Néanmoins, les différents rythmes peinent à se succéder aussi élégamment – mais ce n’est pas synonyme d’ennui pour autant puisque la richesse de l’œuvre et sa capacité hypnotique reprennent le dessus. C’est un premier long qui a déjà une forte identité, qui donne envie de découvrir le travail de sa réalisatrice et présage de belles choses pour la suite de sa carrière. 




ATLANTIQUE

Réalisé par Mati Diop


Écrit par Mati Diop et Olivier Demangel 



Avec Mama Sané, Ibrahima Traore, Abdou Balde...



Montage : Aël Dallier Vega



Directrice de la photographie : Claire Mathon



Durée: 1h43



Sorti dans les salles françaises le 2 octobre 2019.


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