PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU - DANS LES BRAISES D'UN AMOUR
Depuis
son premier film, Naissance des pieuvres, qui racontait
les troubles des premiers désirs lesbiens d’une adolescente,
Céline Sciamma s’est imposée comme étant une réalisatrice
française à suivre. Cinéaste de l’amour, du désir, et de leur
place dans le cadre sociétal ou familial, elle revient cette année
avec Portrait de la jeune fille en feu, prix du scénario
au Festival de Cannes. Cette récompense n’était pas celle qui
était la plus attendue, les plus optimistes lui prêtait la Palme,
les autres un prix du jury ou une interprétation féminine.
L’intrigue
se déroule sur une île de Bretagne, un décor sauvage et
inhospitalier dont le vent ravage la végétation tandis que les
vagues se brisent sur les rochers coupants. On entendra davantage
qu’on verra ce paysage, Sciamma privilégiant plutôt des plans
rapprochés, pour une approche intimiste de son sujet, de ses sujets.
Le dispositif est globalement minimaliste, la musique n’est jamais
totalement extra-diégétique, la réalisation se refuse à toute
grandiloquence ou artifices qui ne seraient pas strictement
nécessaires. Ainsi, la force de l’oeuvre repose en grande partie
sur la maîtrise de l’espace cinématographique, sur le choix des
cadres qui séparent et rassemblent sans cesse les personnages. Au
départ un peu froid, le film est à l’image de l’amour qui unit
les deux jeunes femmes : timide, méfiant, mais au cœur
brûlant. C’est feutré, comme cet univers que l’on impose à
celles qui, par leur sexe, n’ont appris qu’à s’exprimer à
mi-voix, des voix claires mais presque jamais fortes, sauf lorsque,
dans des moments de détente, elles se laissent aller au débat ou au
rire, dont le destin les prive trop souvent. Ces éclats ne sont
possibles que par leur communion, ainsi Sciamma forme non pas une
sororité mais une famille dans laquelle chacune aurait sa place.
C’est
par l’observation que le désir naît, mais dénué de tout
fétichisme. Il se nourrit d’une réciprocité, d’un respect
mutuel, dans lequel on ne peut rien effectuer de bon sans le
consentement de l’autre. Ainsi, par le rapprochement entre image
cinématographique, tableau de peinture et désir amoureux et sexuel,
Sciamma traite de problématiques actuelles. Sa construction des
contrastes et touches de lumières est très douce, à la manière
d’un tableau, à la manière d’un amour naissant, de regards
discrets jetés à l’objet du désir, jusqu’à ce que le feu
prenne enfin. Flambant dans un début d’automne sec, il n’est ni
agressif, ni ravageur mais vecteur de vie et de chaleur – aussi
tout ce dont les personnages sont privées. Le drame ne survient pas
dans le désir et l’amour, dans la bulle progressivement construite
du foyer, mais est apporté par les éléments extérieurs, concrets
comme abstraits. Portrait de la jeune fille en feu est le film de
l’espace d’un temps, ce même temps qui se ravage lui-même et se
transforme en souvenir, dont l’image est vecteur de mémoire autant
que d’amour et de tendresse.
En
parallèle du geste de l’artiste amoureuse de la fiction, le geste
de la réalisatrice gagne toute son importance. Portrait de
la jeune fille en feu est comme l’édition d’un livre
corné que l’on aime beaucoup, un bijou auquel on tient, un doudou
d’enfance, décrit par une précision naturaliste, sauf qu’en
tant qu’oeuvre filmique, il existe surtout pour son immatérialité,
il est impossible à retenir, détenir, si ce n’est qu’en image –
comme on peut le contempler.
Réappropriation
de thèmes et sujets très souvent perçus par un regard masculin,
que ce soit par celui d’un réalisateur ou d’un
personnage, Portrait de la jeune fille en feu use à
merveille de ses symboles, lie dans sa forme tradition et modernité,
utilise une histoire du passé pour parler du présent.
PORTRAIT
DE LA JEUNE FILLE EN FEU
PRIX
DU SCÉNARIO LORS DE LA 72ÈME ÉDITION DU FESTIVAL DE CANNES
Un
film écrit et réalisé par Céline Sciamma
Avec:
Adèle Haenel, Noémie Merlant, Luàna Bajrami, Valeria Golino...
Monteur:
Julien Lacheray
Directrice
de la photographie: Claire Mathon
Durée:
1h40
Sort
dans les salles françaises le 18 septembre 2019.
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