SALE TEMPS À L'HÔTEL EL ROYALE - AMBIANCE CALIENTE SUR FOND DE NEVADA
Le thriller en huis-clos
est une denrée commune ces derniers temps dans les salles internationales. Plus
qu’un effet de manche, il s’agit d’un dispositif complexe, dont l’unique unité
de lieu – du moins, à première vue – doit être un espace dangereux qui incite à
la fuite. Le huis-clos alors principalement dans l’imaginaire collectif une situation
d’urgence, au détriment d’un confort continu. Pourtant, en inversant ces idées
de fuite et en faisant de son hôtel la transition pacifique vers un monde que
tout un chacun souhaite meilleur, Drew Goddard prend à contre-pied les attentes
d’un Cluedo-bis jouissif que promettait pourtant la bande-annonce, en y
instaurant la question du purgatoire et du devoir de mémoire dans un ton d’une
gravité inattendue.
Il en va sans dire que
Drew Goddard est un excellent scénariste dont la subversion n’est plus à
prouver. Cinéaste réputé pour être bavard et révéler l’urgence dans le paisible, ou à l’inverse
la dilatation temporelle dans les moments plus tendus, il reste dans cette même idée avec Sale temps à l’Hôtel El
Royale, dont l’urgence des personnages dans les deux premières heures n’est
pas l’instantanéité, à savoir l’isolement dans ce motel miteux à cheval entre
deux États, mais le ressassement du passé, la création de flash-backs propres à
chaque personnage pour à la fois, permettre une solidité dans leur
caractérisation pour justifier leurs agissements, mais en même temps y
introduire la thématique du devoir de mémoire et la question du refoulement. Du
huis-clos, El Royale n’en a que le
concept de base : c’est un film sur l’envie de l’instant et le rejet de l’introspection,
tous deux finalement impossibles. Placée en 1968, l‘intrigue sous plusieurs niveaux de
récit évoque à la fois la question de la mémoire défaillante, intemporelle, et la
question de l’individu dans une transition politique la plus importante sur le
sol américain au XXème siècle, entre l’embourbement de l’US Army durant la guerre
du Vietnam de 1965 à 1973, la question de la femme dans la société et la question raciale,
notamment avec la mort de Martin Luther King en avril 1968 justement. Tout ceci est
évoqué en filigrane, sans être didactique ni lourd dans cette narration régulée comme les pièces d’un puzzle
fait pour se reconstituer, et par la même occasion y déployer un troisième acte où se révèlent les catharsis des protagonistes.
Ces strates de récit, annoncées
par le biais de cartons, prennent aussi le temps d’évoquer en sous-texte l’idée
du purgatoire d’une Amérique encore rongée par sa cupidité et ses vices. Tout
le film s’articule en réalité comme une mise en scène d’un purgatoire, puisque
l’articulation de ces mémoires est un moyen de jugement avant l’envoi au
paradis ou en enfer. Le management de l’hôtel, évoqué furtivement dans la
bande-annonce, en est un parfait exemple : il est une figure déifique,
capable de tout voir, d’anticiper les mouvements de ses personnages, notamment
à travers leurs actions se révélant toutes être des effets d’annonce pour la
suite des événements, et de savoir, par le biais des flash-backs
extradiégétiques, les secrets de tous les protagonistes. Pour Drew Goddard ici, le montage de son film serait donc l'articulation grammaticale d'une phrase dont tous les passés des personnages s'articuleraient comme des connecteurs logiques à leurs actions ultérieures. Il est également
identifiable une focalisation externe, du moins au début, qui annihile la
portée émotionnelle, soit, mais émet une image sans jugement de valeur à un spectateur
qui est libre de croire ce qu’il souhaite et qui il souhaite. S’il est possible
de regretter justement ce manque de gras ou ce brouillage de pistes au profit d’une
narration sans artifices gravitant autour, il rentre cependant dans l’entièreté
de son sujet et y exploite toutes ses capacités. La troisième partie du film,
plus convenue et axée uniquement sur un enchaînement de révélations, peut
décevoir en raison de son manque de surprises et d’originalité, mais les deux
premières heures offrent de grands moments de cinéma qui justifient toujours ce moment de vérité face à l'entité invisible qui les observe.
Le vrai souci inhérent à Sale temps à l’Hôtel El Royale
finalement sur tout le film n’est pas sa densité thématique ni le traitement de
ces personnages, mais cette idée de rendre grave les événements et la question
du détournement du genre. Si la subversion s’opère de manière intéressante avec
la proéminence des flash-backs, comme dit plus haut, il se révèle quand même
dommageable que Drew Goddard n’étende pas plus longtemps son jeu ambigu entre
les personnages, et préfère révéler directement le manichéisme de son intrigue en se focalisant uniquement en fin de film sur le personnage de Darlene Sweet au lieu de rester en hauteur et avec un regard de contemplation.
Cinéaste subversif mais encore trop binaire pour pleinement connaître ses
propres limites, jamais le réalisateur n’ose pousser plus loin ce que Quentin
Tarantino avait pourtant réussi avec ses 8
Salopards, à savoir jouer le double-jeu avec ses personnages, étendre les
relations qu’ils ont entre eux et laisser ses personnages être cyniques au
détriment du dispositif. La raison même de ce basculement doit être l'envie d'impliquer le spectateur dans la souffrance de tout un chacun en devenant un acteur-spectateur, au lieu d'être un simple voyeur. Basculement dommageable, car la simplicité de sa focalisation orchestrait alors sans cynisme le détournement du genre qu'il invoque ici, à savoir le thriller.
Ainsi, même s’il a encore
du mal à gérer ses personnages dans ses détournements de mise en scène et ses
procédés de monstration, Drew Goddard fait de son film Sale temps à l’Hôtel El Royale un divertissement de haute qualité,
au travers de ses deux premières heures haletantes et thématiquement
impressionnantes de gravité et de densité sur l’histoire des Etats-Unis à la
fin des années 1960. Un film à la réalisation léchée qui en surprendra plus d’un
au vu de l’attente suscitée par la bande-annonce.
SALE TEMPS À L’HÔTEL EL
ROYALE
Ecrit et réalisé par Drew
Goddard
Avec Cynthia
Erivo, Chris Hemsworth, Jeff Bridges, Jon Hamm, Dakota Johnson...
Monteuse: Lisa Lassek
Directeur de la
photographie: Seamus McGarvey
Durée: 2h22
Sortie dans les salles
françaises le 7 novembre 2018
INTERDIT AUX MOINS DE 12
ANS
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