GANGSTA - KIDS, DON'T DO DRUGS


L'effet d'une bombe. Un épiphénomène. 31 janvier 2018: Adil El Arbi et Bilall Fallah, de jeunes réalisateurs belges quasi-inconnus au bataillon, sont appelés à la rescousse par une Sony en détresse pour remplacer illico Joe Carnahan à la barre de Bad Boys III. Au vu de leur première réalisation, Black, ce choix était extrêmement risqué: difficile d'y voir un quelconque lien entre l'énergie d'un Michael Bay, dont l'impact visuel surplombe la psychologie des personnages; et une relecture ultra-violente tant physiquement que psychologiquement d'un Roméo et Juliette dans les banlieues bruxelloises (malgré l'amour non dissimulé du metteur en scène américain pour West Side Story de Robert Wise, soit... Un Roméo et Juliette sur fond de comédie musicale). Un nouveau coup d'essai devait bien être fait pour ne pas poser un jugement hâtif sur ce choix couillu de la part de la firme japonaise.



Bingo ! Deux ans après Black et six mois avant le début du tournage du troisième épisode de la saga avec Will Smith et Martin Lawrence (selon Deadline), sort Gangsta, ou Patser en version originale, nouveau métrage de Adil & Bilall. Plus drôle, moins cru, esthétiquement plus poussé, les deux réalisateurs semblent se rapprocher de plus en plus de Michael Bay dans une structure narrative en "Rise & Fall" chapitrée - les différentes parties sont mises en parallèle avec les sept péchés capitaux, un ressort narratif malheureusement très peu relié avec la symbolique religieuse -, rappelant les heures les plus célèbres du cinéma de Martin Scorsese. Cette narration, articulée autour de la voix off du personnage principal, Adamo, met en relation la réalité du terrain avec la psyché de son protagoniste. Pour ce faire, les réalisateurs et scénaristes ont pris le soin de ne pas tomber dans le piège de la scène dont le personnage n'a pas pris part ou, s'il n'y a pas participé, n'en a pas pris connaissance auparavant. Ce qui peut sembler simple au premier abord est pourtant l'une des plus grossières erreurs faites par la plus grande majorité des scénaristes actuels. Cette régulation du récit par la voix off permet aussi à Adil & Bilall de s'émanciper par moments de tout réalisme, afin de mettre en parallèle la ville avec un immense terrain de jeu dont les quatre héros en sont les maîtres. Comme la scène des docks, sans doute la meilleure scène du fim, les couleurs et les formes urbaines deviennent alors un terreau d'expérimentations abstraites, biberonnées à l'univers vidéo-ludique, ne trahissant jamais l'intention de base, qui est de voir le métier de passeur de drogue comme étant l'évolution logique de quatre jeunes de cité, éduqués à la violence des banlieues, à la culture rap et électro et aux jeux vidéo, qui n'ont jamais cherché à aller plus loin que leur quartier pour réussir. Si cette dernière phrase peut sembler douteuse au vu de la sensibilité actuelle de ce sujet, pas de panique: jamais les scénaristes ne se sont permis de prendre de haut leurs personnages. Ils leur donnent à tous un background qui légitimise leurs actes, bien que la subtilité ne soit pas forcément présente. De plus, il est beau de voir une bande de bras cassés, intronisés eux-mêmes dealers, progresser dans le récit sans qu'il n'y ait une once de cynisme présente sur leurs actions, alors que le sujet et la surcharge parolière pouvaient prêter à un ton sarcastique pas forcément bienvenu. 

C'est cependant là où les défauts interviennent: à force d'être trop dialogué, et qui plus est sur trois strates de récit maximum, Patser perd son spectateur dans un flot ininterrompu de paroles tournant trop vite à l'overdose. Ajoutez à cela un nombre très (trop ?) important de personnages, que les scénaristes se retrouvent contraints de caractériser pour les introduire de la manière la plus claire possible, qui provoquent une perte de repères dans le scénario qui ne semble pas être voulu. Cette surcharge en terme de débit de parole trouve cependant sa cohérence dans une exagération et une gradation visuelle pas inintéressante. Comme dit plus haut, chaque gimmick de Michael Bay se retrouve dans ce patchwork esthétique et saturé à l'étalonnage. De ce jeu formel naquit alors un paradoxe pas déplaisant sur la rupture du quatrième mur: cette empreinte visuelle et technique si connue du blockbuster actuel ne servirait-elle pas un pan cliché du cinéma hollywoodien moderne que souhaite dénoncer les réalisateurs ? Les deux heures de film, montées comme un tour de montagnes russes s'arrêtant brutalement dans une dernière demie-heure plus portée sur le penchant réaliste de la chute d'un cartel de drogue et de leurs satellites, cherchent en permanence à vouloir amplifier ce mouvement jusqu'à ce que la réalité touche de plein fouet des personnages se sentant pourtant indestructibles. De ce fait, le principe du quatrième mur, associé à la voix off omniprésente et des monologues de Adamo face caméra, crée des personnages conscients d'appartenir à un medium artistique, jusqu'à ce que le réalisme final les pousse à devenir des hommes qui doivent s'éloigner de leur mode de vie pour se sentir exister comme des êtres uniques, pas seulement archétypaux. Cependant, ces codes stéréotypés dévient trop souvent vers un concept beaucoup trop programmatique pour être pleinement jouissif: les nappes électro lors des scènes de tension, la rupture musicale totale lors de scènes comiques, un montage vertical entre ce que dit le personnage à un autre et ce qu'il a réellement fait, avec une transition filée ultra-convenue... Si cela sert dès lors le propos du personnage conscient, le concept s'étire beaucoup trop sur la durée pour offrir au spectateur une adrénaline continue. Il est aussi dommageable l'idée que les deux réalisateurs ont vraiment du mal à créer une quelconque respiration dans le film, pour laisser le public souffler un peu et apprécier la suite. En effet, créer un montage avec un rythme aussi effréné et, surtout, au tempo uniforme amène une surcharge d'informations qui tend à épuiser beaucoup trop vite.


Ainsi, Adil & Bilall font de Gangsta un nouveau film qui, convenu au demeurant au vu de son sujet, propose un champ expérimental très riche, franchissant le quatrième mur par ses procédés filmiques allant au-delà de la simple citation, dans une structure narrative tout aussi convenue mais pourtant toujours aussi nerveuse. Dommage simplement que les deux réalisateurs eussent été obligés de faire de leur récit un film avec beaucoup trop de personnages, et que la rythmique d'exécution au montage, constamment en surchauffe, n'offre jamais de répit pour laisser le spectateur appréhender ce qui se fait et ce qui se dit sur les deux heures de métrage. C'est (très) épuisant, mais au vu du travail qui devra être fait pour Bad Boys III, c'est (très) encourageant.





GANGSTA

Un film de Adil El Arbi et Bilall Fallah

Ecrit par Adil El Arbi, Bilall Fallah, Nabil Ben Yadir et Bram Renders

Avec Matteo Simoni, Nora Gharib, Nabil Mallat, Saïd Boumazoughe, Junes Lazaar...

Monteurs: Adil El Arbi, Bilall Fallah, Kobe van Steenberghe et Thijs Van Nuffel 

Directeur de la photographie: Robrecht Heyvaert

Durée: 2h05

Sorti dans les salles françaises le 28 février 2018.


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